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La caméra des mots

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L’œuvre de Tanguy Viel est à la fois vivement contemporaine, puisqu'elle a débuté en 1998 par Le Black Note, et pleinement légitime, puisqu'elle fait déjà partie de nombreux corpus de thèses. Il manque néanmoins à ce jour de véritable monographie d'ampleur qui prenne en charge l’œuvre dans ses évolutions et ses constances, notamment son attention continue pour le cinéma, la reprise de ses motifs et de ses dispositifs depuis son deuxième roman Cinéma.

« La caméra des mots » – porté par Laurent Demanze, Professeur en Littérature française contemporaine à l'UGA et membre de l'UMR Litt&Arts – est l’un des deux projets du laboratoire lauréats de l’appel à projets 2019 de la SFR Création. Rendez-vous dans notre numéro de décembre pour découvrir le second projet !

Ce projet s'articule autour de trois axes :

1. La littérature confrontée au cinéma
Tanguy Viel a dit à plus d'une reprise le contexte nouveau de la littérature depuis que le cinéma notamment est devenu le dispositif essentiel à produire de la fiction, avec une capacité redoutable d'adhésion et de projection. Dans ce contexte de rivalité, sinon de relégation, il s'est efforcé de composer une littérature adossée aux dispositifs et aux procédures du cinéma dans une pratique concertée d'hybridation, de réappropriation et d'anthologisation. C'est là une littérature profondément cinéphile, analysée notamment par Fabien Gris (MCF, Paris 4). L'exemple de Tanguy Viel permettra d'engager une vaste réflexion sur les rapports frontaliers entre littérature et cinéma, notamment dans le séminaire « Écriture moderne et contemporaine » qui sera consacré l'année 2019 à cette question.

L'écrivain sera ainsi amené, comme il l'avait fait dans d'autres contextes, à commenter dans une salle de cinéma quelques extraits cinématographiques, à proposer une sélection cinéphilique et à interroger ce qui fait la spécificité de la parole littéraire sur le cinéma : essayisme critique ? Liberté formelle ? Pratique délibérée du malentendu ?

2. Un atelier d'écriture
Tanguy Viel est déjà intervenu à de nombreuses reprises dans ce cadre, publiant notamment Ce jour-là chez Joca Seria issu d'un atelier avec des lycéens de Clichy-sous-Bois. Cet atelier mené avec l'écrivain aura une double ambition : penser l'atelier en termes de réappropriation symbolique, qui permet de prendre conscience des médiations et des fictions qui font écran à notre saisie du réel pour travailler dans l'épaisseur de la langue à s'en délester, et s'interroger sur les modalités contemporaines d'écriture du réel en lien avec le séminaire d'équipe ÉCRIRE, consacré à cette question.

Cet atelier sera développé en parallèle avec une étude de certaines archives de Tanguy Viel : captation de carnets, brouillons, chantiers documentaires, pour inviter les étudiants à entrer dans le processus d'écriture à partir des étapes de son devenir. Entrer dans l’œuvre par ses brouillons et archives, c'est aussi pour l'atelier un moyen de découvrir la création par son atelier pour nouer un rapport dédramatisé à la création, en montrant ses étapes et sa fabrique : une exposition des brouillons est prévue, pour analyser le brouillon moins comme une esquisse que comme une surface plastique de creusement du langage, dans laquelle se cherche et s'élabore la traque du mot juste. Ce projet s'articule et prolonge les réflexions menées par Brigitte Combe et Françoise Leriche sur les brouillons de Jean-Philippe Toussaint et renoue avec une dimension structurante de l'UMR Litt&Arts. Par ailleurs, il est à noter que Tanguy Viel est sollicité par la revue Décapage pour un entretien et un commentaire de ses carnets, brouillons et chantiers : il sera intéressant d'analyser comment un écrivain contemporain négocie son inscription dans l'histoire littéraire, par quelle gestion de ses brouillons, par quelle stratégie de conservation, dans une époque marquée par Le Goût de l'archive selon Arlette Farge voire par un Mal d’archive, pour reprendre le titre de Jacques Derrida.

3. Un tournant réflexif des études contemporaines
Depuis les années 2000, les écrivains interviennent à l'université, dans le cadre de résidence ou d'atelier, dans le cadre aussi de Master Recherche/Création. Il manque cependant encore un véritable geste réflexif qui analyse ce que cette présence infléchit dans nos pratiques d'enseignement et de recherche. À travers les entretiens menés, enregistrés par des dispositifs vidéos, comme à travers l'observation minutieuse de la conduite de l’atelier, il s'agit de commencer un chantier consacré à cette présence nouvelle de l'écrivain dans un contexte universitaire, et d'autant plus troublante que Tanguy Viel est un fin analyste de la littérature, lecteur d'essai et de théorie. Non seulement on sera attentif à élaborer ce que l'on peut appeler une poétique résidentielle, en analyser les implicites, les topiques, mais surtout il faudra par un retour « ethnographique » sur les captations d'entretiens menés avec l'écrivain, s'interroger sur les constitutions de champ, les effets de légitimation dans une analyse attentive des discours et des postures (voir les travaux de Jérôme Meizoz). On souhaite engager une réflexion sur la manière d'intégrer cette présence de l'artiste au sein du discours critique, en interrogeant les biais de cette position : en un mot, comment analyser les discours (entretiens, ateliers) de l'auteur, pour les délester de tout effet d'autorité, mais en ouvrant largement ces entretiens comme élément constitutif de corpus et d'archive de l’œuvre. À terme, c'est une réflexion méthodologique invitant les études contemporanéistes à entamer un tournant réflexif pour cesser de reconduire dans le discours critique la parole d'auteur sans l'interroger à nouveaux frais.

Contact

laurent.demanzeatuniv-grenoble-alpes.fr (Laurent Demanze)

Publié le 31 mai 2021

Mis à jour le 31 mai 2021