La légende des poètes (XIXe-XXIe siècle)

En mettant en scène la constitution et la diffusion de la « légende de Pierre Mercadier », qui, dans Les Voyageurs de l’impériale (1942 ; 1947), réinvestissait sur un mode burlesque l’aventure rimbaldienne, Aragon montrait combien l’histoire de la poésie, en l’occurrence moderne, pouvait être tributaire d’une histoire des représentations flottant autour des vies de poètes illustres. Dans le même temps, il donnait à voir, dans un espace romanesque, l’arrière-texte et la matière première de ce genre ancien — son légendaire — où se croisent le domaine politique et moral des vies d’hommes illustres de l’Antiquité, le domaine esthétique des vies de peintres de la Renaissance, et le domaine hagiographique, dont La Légende dorée de Jacques de Voragine, au XIII^e siècle, fixe le modèle. C’est donc bien à dessein qu’Aragon emploie le terme de « légende », dont l’ancrage est religieux, poétiquement fécond, riche d’un vaste potentiel fantasmatique et narratif, plutôt que celui de « mythe », dont les études de réception allaient bientôt s’emparer, avec Étiemble (Le Mythe de Rimbaud. Structure du mythe et Genèse du mythe, Gallimard, 1952 et 1954), dans une perspective négative, caractérisant à propos du même Rimbaud une « affection de l’imaginaire collectif ».

En retenant de cette notion son caractère malléable, souple, ouvert, disponible, ce colloque voudrait esquisser l’histoire d’une légende des poètes : l’approche des pratiques d’écriture qui alimentent une veine fictionnelle de la réception des poètes, immédiate ou au long cours, depuis le XIX^e siècle jusqu’à nos jours, fera l’objet de la réflexion menée à l'occasion de ces journées.