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Axe 2
Le projet Homerica a vocation à étudier les modes d'appropriation des poèmes homériques depuis la Renaissance dans une perspective transhistorique et pluridisciplinaire.
Le projet Homerica s'inscrit dans le prolongement du site grenoblois du même nom, fondé au début des années 2000 par l'helléniste Françoise Létoublon. Réunissant des chercheurs de diverses disciplines appartenant à l'UMR 5316 Litt&Arts (UGA), il a vocation à étudier les modes d'appropriation des poèmes homériques depuis la Renaissance dans une perspective transhistorique et pluridisciplinaire. L'enjeu est d'explorer la transmission à divers publics des poèmes homériques sur la longue durée et, plus particulièrement, de réfléchir sur la notion controversée de vulgarisation. Dans ce cadre, on privilégiera deux directions : la transposition à l'image (peinture, scène, écran) et la traduction.
Ce programme a été élaboré par un colloque international qu'ont organisé en 2018 à l'UGA Christiane Deloince-Louette et Agathe Salha (« Homère pour tous. Stratégies d'appropriation des poèmes homériques »), et par l'ouvrage collectif qui en est issu : Notre Homère. Stratégies d'appropriation des poèmes homériques (France, XVIe-XXIe siècle), paru en 2021 chez UGA Éditions. Il a vocation à s'enrichir par le biais du carnet Homerica récemment créé, lieu d'information et d'échanges tant sur l'actualité homérique internationale (colloques, parutions, comptes rendus) que sur les pratiques et usages du texte homérique de la Renaissance à nos jours. Le carnet développe plusieurs rubriques : Agora (comptes rendus) ; Homère à la Renaissance ; Homère, images et texte ; Homère à l'écran (sous la responsabilité de Guillaume Bourgois).
Le projet rassemble trois projets internes :
Le projet « Notor » porté par Agathe Salha et l’équipe ELAN
Le vicomte de Roton a publié dans la première moitié du XXe siècle plusieurs ouvrages dont l'Iliade et l'Odyssée, illustrés par des images empruntées à l'Antiquité grecque, parfois retouchées. Les documents ont été réunis par Odette Touchefeu, qui a elle-même édité en 1963 un recueil intitulé Images pour Homère, disponible sur Gallica (et utilisé pour l'exposition de la BnF en 2006-2007.) Actuellement réunis sur le site Notor, Homère, et les vases grecs, ces éléments sont en cours de transposition et seront présentés sur le carnet Homerica. Le but est d'une part de les rendre plus accessibles, d'autre part de les mettre en perspective dans le cadre d'une réflexion sur l'illustration d'Homère.
« Homère, images et textes : comment travaillent les “illustrateurs” d'Homère ? » porté par Christiane Louette et Agathe Salha (Litt&Arts) et Catherine Vermorel (UMR 5190 LARHRA)
À la Renaissance, on parle de programme ou d'invention iconographique pour désigner les séries picturales qui ornent palais et châteaux, et l'on sait que des lettrés ont pu jouer un rôle dans l'élaboration de ces grands décors si prisés à l'époque. Ainsi pour la célèbre galerie d'Ulysse à Fontainebleau, aujourd'hui détruite, mais dont il reste des dessins préparatoires de Primatice ainsi que la série de gravures de Théodore van Thulden. Les historiens de l'art, à juste titre, ont souligné la diversité de leurs sources, textuelles et picturales, ainsi que de leurs enjeux (voir Programme et invention dans l'art de la Renaissance, éd. M. Hochmann, J. Kliemann, J. Koering et P. Morel, Académie de France à Rome, 2008), puisque la composition de ces « séries » s'appuie à la fois sur des références philosophiques, sur une rivalité entre peintres et sur l'ambition des commanditaires.
Qu'en est-il lorsque l'ensemble des représentations picturales a pour source un seul texte, comme c'est le cas dans la galerie d'Ulysse, première Odyssée française ? La série de peintures, dont la cohérence est d'abord définie par le texte-source, propose une interprétation propre destinée à un public de cour. Mais comme ce texte-source est lui-même médiatisé par des traductions qui en réorientent la lecture et que le medium pictural impose inéluctablement une sélection de scènes ou de moments du texte premier, la série contribue à transformer la perception du poème homérique dans l'imaginaire du public. De même, les séries d'illustrations que John Flaxman, à la fin du XVIIIe siècle, réalise pour l'Iliade et l'Odyssée, constituent des suites à étudier en tant que telles, au plus près du texte d'Homère et de ses enjeux de réception. Dans le domaine de la littérature de jeunesse, le choix de raconter l'Iliade et l'Odyssée en images (album, bandes dessinées) oblige à un certain nombre de suppressions, d'écarts ou d'ajouts qui questionnent la notion même de transmission textuelle (influence du public choisi, procédures de simplification, transpositions stylistiques…).
L'objectif est ici de travailler non seulement entre littéraires (spécialistes d'Homère ou d'études de réception) mais avec des historiens de l'art, à commencer par nos collègues du LARHRA, dans une perspective qui permettrait une initiation à la recherche conjointe en Lettres et Histoire de l'art (à destination des étudiants de la double licence Lettres-Histoire de l'art de l'UGA).
« HomERe (traductions d'Homère en Europe à la Renaissance) » porté par Christiane Louette
La première édition des poèmes homériques à la fin du XVe siècle (Florence, 1488) entraîne une multiplication des traductions, d'abord en latin puis en français, en italien, en espagnol. Longtemps méprisées pour diverses raisons – leurs auteurs connaissaient mal le grec, elles contiennent de nombreuses digressions et omissions, leur diffusion fut limitée –, elles proposent pourtant des lectures particulières de l'Iliade et de l'Odyssée, adaptées à des publics variés, aristocratiques, érudits ou courtisans. Nous voulons désormais renverser la perspective critique habituelle et lire ces traductions en tenant compte des publics auxquelles elles étaient destinées, des diverses stratégies des traducteurs pour les satisfaire (en particulier du recours à l'imitation des poètes latins ou vernaculaires) et de leur désir de contribuer à l'enrichissement du patrimoine national. Par rapport au texte d'Homère, c'est la notion d'écart que nous retiendrons comme féconde, et non celle de fidélité.
Notre propos est de considérer et d'étudier ces traductions
- comme des œuvres à part entière, d'en préciser les intentions, les destinataires, les pratiques traductologiques, stylistiques et métriques ;
- comme des documents précieux à la fois pour la réception des poèmes homériques et pour le développement des langues vernaculaires en Europe à la Renaissance. Compte tenu de l'ampleur du corpus, nous travaillerons dans un premier temps sur les traductions de l'Iliade.
Le projet est donc double : éditer ces traductions, imprimées à la Renaissance seulement et parfois manuscrites, et construire un outil permettant une approche comparatiste systématique. Pour ces deux objectifs, le recours au numérique paraît indispensable.
Éditer des textes peu ou mal connus
Les traductions de notre corpus n'ont jamais été rééditées depuis la Renaissance et nous sont même parfois parvenues sous forme manuscrite. Désormais accessibles, du moins pour la plupart, via les plateformes numériques des grandes bibliothèques européennes, en particulier Gallica, elles nécessitent une mise en valeur éditoriale accompagnée d'une annotation minimale (lexique, repérage des sources).
On distinguera quatre ensembles :
- Le corpus latin : parmi les sept traductions existantes, nous retiendrons les quatre plus marquantes de la période : celle, manuscrite et ad verbum, de Léonce Pilate, préparée pour Francesco Petrarca au XIVe siècle ; celle de Lorenzo Valla, en prose et ad sensum (1474) plusieurs fois rééditée jusqu'en 1535 ; celle d'Andrea Divo (1537), qui supplanta la précédente et servit de base à bon nombre de traductions latines de l'Iliade et de l'Odyssée au XVIe siècle ; celle d'Eobanus Hessus (1540), en hexamètres dactyliques, représentative des traductions latines d'origine germanique qui se sont développées dans l'entourage de Philip Melanchthon.
- Le corpus français : il compte trois grandes traductions complètes de l'Iliade. Les Iliades d'Homère par Jehan Samxon (1530), ample traduction en prose qui s'inscrit dans le prolongement des « histoires de Troie » du monde médiéval ; la traduction en décasyllabes des dix premiers chants par Hugues Salel (1545) qu'Amadis Jamyn poursuit et termine en alexandrins (1577), travail commencé à la demande de François Ier dans un contexte d'illustration et de promotion de la langue française ; la traduction en alexandrins de Salomon Certon à la fin du siècle, entreprise à l'instigation d'Henri IV et offerte à Louis XIII son fils en 1615.
- Le corpus italien : cinq traductions imprimées partielles, mais peu connues et une traduction restée manuscrite (celle de G. Baccelli, 1582), profondément marquées par le « vulgaire illustre » qu'est la belle langue littéraire de Dante, Pétrarque et Boccace. Il faut compter aussi avec L'Achille et l'Enea de Ludovico Dolce (1572).
- Le corpus espagnol : il comprend une traduction de l'Iliade restée manuscrite, celle de Lebrija Cano.
Adopter une approche comparatiste
La Renaissance a ceci de remarquable qu'elle a développé de manière conjointe et souvent concomitante la transmission des classiques grecs via le latin et les langues vernaculaires. Adopter une approche comparatiste devrait nous permettre :
- de mieux comprendre le processus de transmission humaniste, et en particulier le rôle de la langue latine dans l'apprentissage du grec ;
- de saisir au plus près la « pratique » de la traduction à la Renaissance et les projets des traducteurs en fonction des attentes des cercles auxquelles ils appartiennent ainsi que les liens entre ces cercles ;
- de distinguer l'originalité des approches « nationales », en particulier le rôle des instances politiques ;
- de mettre au jour l'influence des littératures « nationales » sur le processus de traduction.
Nous travaillerons dans un premier temps avec Marianne Reboul, MCF à l'ENS de Lyon, qui a construit un outil performant de parallélisation des traductions de l'Odyssée d'Homère en langue française depuis la Renaissance jusqu'à nos jours. Avec son aide, nous espérons pouvoir, dans un second temps, affiner la parallélisation de façon à mettre en évidence les structurations propres à chaque traduction. Nous bénéficierons aussi de l'appui des ingénieur·es d'étude et de recherche de l'équipe ELAN (pôle de Litt&Arts). Une première journée d'études, le 7 mars 2019, a déjà permis de présenter les divers corpus et d'ouvrir la réflexion sur la collaboration à venir.
Coordination
Responsables
Christiane Louette
Agathe Salha
Axe porteur
Axe 2 « Traduction, transmission, réception des textes littéraires »
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