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Recherche
Numériser les milliers de lettres écrites par l'écrivain, tel est l’objectif du projet "Corr-Proust". Incursion dans l’univers des humanités numériques, au croisement de l’informatique et des sciences humaines…
Durant son existence Marcel Proust a écrit plusieurs milliers de lettres, entretenant des liens avec tous les milieux sociaux. Numériser cette correspondance, patiemment collectée, tel est l’objectif du projet « Corr-Proust ». Françoise Leriche, spécialiste de cet écrivain, membre de l’UMR Litt&Arts, est la responsable scientifique de ce projet d’édition numérique auquel collaborent des chercheurs de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign et de l'Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM). Incursion dans l’univers des humanités numériques, au croisement de l’informatique et des sciences humaines…
D’où est venue l'idée de ce projet ?
Le point de départ c’est l’édition de Philip Kolb (1907-1992), professeur de littérature française à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign et spécialiste de la correspondance de Marcel Proust. Il a constitué un fonds d’archives de plus d’un millier de lettres qu’il a pu collecter au gré de ses rencontres avec des collectionneurs, des correspondants de Proust encore vivants, des membres de sa famille… Il a pris le parti de publier tous les documents épistolaires qu’il a pu retrouver (courts billets, lettres ouvertes, lettres à caractère administratif et commercial, etc.), et pas uniquement les lettres les plus « littéraires ». Ce travail de toute une vie a abouti à l’édition chronologique de la correspondance de Proust parue en 21 volumes chez Plon de 1970 à 1993. Une correspondance qu’il lui a fallu dater, par recoupements historiques, parfois en fonction du papier utilisé ou du moyen d’écriture, car l’écrivain ne datait pas ses lettres !
À la mort de Kolb en 1992, l’université a souhaité conserver en l’état son cabinet de travail en créant le Kolb Proust Archive, afin de maintenir vivant ce fonds documentaire exceptionnel, notamment via la numérisation des fichiers de Kolb. En tant qu’assistante de Kolb, j’ai participé à l’édition de plusieurs volumes de la correspondance et, à partir de 1994, à la définition des missions du Kolb Proust Archive. On songeait déjà en 1995 à numériser les lettres mais les techniques de l’époque ne permettaient qu’un format image beaucoup trop long à télécharger. Se posait la question des droits avec les éditions Plon, devait-on faire payer un droit d’accès ? à qui le reverser ? Puis l’informatique a évolué, on a créé les langages HTML, XML. J’étais en poste à l’université Stendhal, rattachée à l’unité de recherche Traverses 19-21 (équipe ÉCRIRE). Je songeais toujours à ce projet de numérisation, mais il me fallait trouver un informaticien pour créer l’outil numérique. Sans compter que le problème des droits n’était toujours pas réglé avec Plon. Il fallait également donner une forme institutionnelle à la collaboration des équipes impliquées dans le projet.
En 2013 tout s’est débloqué, et notamment les négociations avec l’éditeur. C’est Thomas Lebarbé, professeur en Humanités numériques, alors rattaché au laboratoire Lidilem (et maintenant à l’UMR Litt&Arts depuis décembre 2016), qui a développé l’outil. L’objectif n’était pas de reprendre l’édition de Kolb à l’identique, mais de faire une réédition numérique en repartant des lettres originales, de l’enrichir de nouvelles lettres, et de créer un système d’annotations critiques pensées pour la consultation numérique. Le projet « Corr-Proust » était né, porté par le Consortium « Proust 21 » (« 21 » pour tous les projets du XXIe siècle autour de Proust) associant des chercheurs de l’Université Grenoble Alpes, de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign et de l'Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM).
Que permet l’outil informatique dans ce type de projet ?
Un logiciel de transcription XML et d’indexation a été développé à partir de celui qui avait été conçu pour éditer en ligne les manuscrits de Stendhal. L’édition en ligne offrira une accessibilité universelle et gratuite à ce corpus épistolaire. Elle rendra également possible son actualisation, car de nouvelles lettres ne cessent de réapparaître, entraînant parfois des modifications de dates, de destinataires pour les lettres déjà éditées… Grâce à un système de balisage du contenu, le langage informatique XML permet une indexation très fine d'un certain nombre de données (non seulement les noms de personnes, de lieux, d’institutions et les titres d’œuvres, mais également des éléments spécifiques à l’épistolaire, comme les papiers utilisés, les formules d’adresse et d’adieu, les citations, etc.), ce qui permettra d’effectuer en quelques clics des recherches nécessitant des centaines d’heures de dépouillement manuel dans une édition papier.
À travers ce projet qu'avez-vous découvert sur l'homme, l'écrivain ?
J’ai beaucoup étudié ses œuvres et les brouillons de ses œuvres. Il ne tenait pas de journal, et cette correspondance nous renseigne sur la sphère privée, mais aussi sur l’œuvre. En l'analysant on met à jour des liens. Par exemple tel épisode du roman peut avoir été inspiré par tel détail mentionné dans une lettre. Certaines lettres peuvent même éclairer des implicites de l'œuvre. Selon moi, sa correspondance fait d’ailleurs partie intégrante de l’œuvre de Proust, elle n'en est pas que la coulisse. C’est une forme de discours différent qui permet la circulation des idées et des analyses, s'inscrit dans l'actualité de l’époque, témoigne de son histoire culturelle et politique. Elle révèle en outre le caractère suspicieux et inquisiteur d'un homme qui voulait tout savoir sur tout le monde !
En novembre 2018 sera célébré le centenaire de la première guerre mondiale. À cette occasion, une première tranche du projet « Corr-Proust » verra le jour avec la mise en ligne de 200 lettres datant de cette période. Cette première étape bénéficie d’un financement des services culturels de l’Ambassade de France aux États-Unis, en lien avec la Mission du Centenaire, et de la coopération des forces vives mobilisées par les équipes de recherche impliquées. Version 1 à valeur de prototype, cette première phase éditoriale donnera une existence concrète à ce projet mûri depuis longtemps, et une « visibilité » qui devrait aussi faciliter les futures recherches de financements !
D’où est venue l'idée de ce projet ?
Le point de départ c’est l’édition de Philip Kolb (1907-1992), professeur de littérature française à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign et spécialiste de la correspondance de Marcel Proust. Il a constitué un fonds d’archives de plus d’un millier de lettres qu’il a pu collecter au gré de ses rencontres avec des collectionneurs, des correspondants de Proust encore vivants, des membres de sa famille… Il a pris le parti de publier tous les documents épistolaires qu’il a pu retrouver (courts billets, lettres ouvertes, lettres à caractère administratif et commercial, etc.), et pas uniquement les lettres les plus « littéraires ». Ce travail de toute une vie a abouti à l’édition chronologique de la correspondance de Proust parue en 21 volumes chez Plon de 1970 à 1993. Une correspondance qu’il lui a fallu dater, par recoupements historiques, parfois en fonction du papier utilisé ou du moyen d’écriture, car l’écrivain ne datait pas ses lettres !
À la mort de Kolb en 1992, l’université a souhaité conserver en l’état son cabinet de travail en créant le Kolb Proust Archive, afin de maintenir vivant ce fonds documentaire exceptionnel, notamment via la numérisation des fichiers de Kolb. En tant qu’assistante de Kolb, j’ai participé à l’édition de plusieurs volumes de la correspondance et, à partir de 1994, à la définition des missions du Kolb Proust Archive. On songeait déjà en 1995 à numériser les lettres mais les techniques de l’époque ne permettaient qu’un format image beaucoup trop long à télécharger. Se posait la question des droits avec les éditions Plon, devait-on faire payer un droit d’accès ? à qui le reverser ? Puis l’informatique a évolué, on a créé les langages HTML, XML. J’étais en poste à l’université Stendhal, rattachée à l’unité de recherche Traverses 19-21 (équipe ÉCRIRE). Je songeais toujours à ce projet de numérisation, mais il me fallait trouver un informaticien pour créer l’outil numérique. Sans compter que le problème des droits n’était toujours pas réglé avec Plon. Il fallait également donner une forme institutionnelle à la collaboration des équipes impliquées dans le projet.
En 2013 tout s’est débloqué, et notamment les négociations avec l’éditeur. C’est Thomas Lebarbé, professeur en Humanités numériques, alors rattaché au laboratoire Lidilem (et maintenant à l’UMR Litt&Arts depuis décembre 2016), qui a développé l’outil. L’objectif n’était pas de reprendre l’édition de Kolb à l’identique, mais de faire une réédition numérique en repartant des lettres originales, de l’enrichir de nouvelles lettres, et de créer un système d’annotations critiques pensées pour la consultation numérique. Le projet « Corr-Proust » était né, porté par le Consortium « Proust 21 » (« 21 » pour tous les projets du XXIe siècle autour de Proust) associant des chercheurs de l’Université Grenoble Alpes, de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign et de l'Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM).
Que permet l’outil informatique dans ce type de projet ?
Un logiciel de transcription XML et d’indexation a été développé à partir de celui qui avait été conçu pour éditer en ligne les manuscrits de Stendhal. L’édition en ligne offrira une accessibilité universelle et gratuite à ce corpus épistolaire. Elle rendra également possible son actualisation, car de nouvelles lettres ne cessent de réapparaître, entraînant parfois des modifications de dates, de destinataires pour les lettres déjà éditées… Grâce à un système de balisage du contenu, le langage informatique XML permet une indexation très fine d'un certain nombre de données (non seulement les noms de personnes, de lieux, d’institutions et les titres d’œuvres, mais également des éléments spécifiques à l’épistolaire, comme les papiers utilisés, les formules d’adresse et d’adieu, les citations, etc.), ce qui permettra d’effectuer en quelques clics des recherches nécessitant des centaines d’heures de dépouillement manuel dans une édition papier.
À travers ce projet qu'avez-vous découvert sur l'homme, l'écrivain ?
J’ai beaucoup étudié ses œuvres et les brouillons de ses œuvres. Il ne tenait pas de journal, et cette correspondance nous renseigne sur la sphère privée, mais aussi sur l’œuvre. En l'analysant on met à jour des liens. Par exemple tel épisode du roman peut avoir été inspiré par tel détail mentionné dans une lettre. Certaines lettres peuvent même éclairer des implicites de l'œuvre. Selon moi, sa correspondance fait d’ailleurs partie intégrante de l’œuvre de Proust, elle n'en est pas que la coulisse. C’est une forme de discours différent qui permet la circulation des idées et des analyses, s'inscrit dans l'actualité de l’époque, témoigne de son histoire culturelle et politique. Elle révèle en outre le caractère suspicieux et inquisiteur d'un homme qui voulait tout savoir sur tout le monde !
En novembre 2018 sera célébré le centenaire de la première guerre mondiale. À cette occasion, une première tranche du projet « Corr-Proust » verra le jour avec la mise en ligne de 200 lettres datant de cette période. Cette première étape bénéficie d’un financement des services culturels de l’Ambassade de France aux États-Unis, en lien avec la Mission du Centenaire, et de la coopération des forces vives mobilisées par les équipes de recherche impliquées. Version 1 à valeur de prototype, cette première phase éditoriale donnera une existence concrète à ce projet mûri depuis longtemps, et une « visibilité » qui devrait aussi faciliter les futures recherches de financements !
Contact
francoise.lericheuniv-grenoble-alpes.fr (Françoise Leriche)
Sur le web
Au sujet du projet
CNRS Le Journal
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