Rhétorique du remerciement (XVe-XVIIIe siècles)

Ce nouveau colloque de rhétorique s’inscrit dans la continuité des travaux menés dans le cadre du projet Variatio. Ce projet s’appuie, d’une part, sur l’équipe de recherche RARE (Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution), qui se réunit tous les mois lors d’un séminaire de recherche, et d’autre part, sur un réseau international de chercheurs qui échangent tous les ans à l’occasion d’un colloque consacré à un type de discours rhétorique spécifique. C’est ainsi qu’en 2021 s’est tenu le colloque « Rhétorique de la requête », dont les actes sont destinés à inaugurer une série d’ouvrages de référence sur chaque type de discours, à paraître dans la collection « Rhétorique, stylistique, sémiotique » dirigée par Delphine Denis et Anna Jaubert aux éditions Classiques Garnier.

Comme pour le discours de requête ou tout autre type de discours (consolation, congratulation, recommandation, reproche, excuse...) répertoriés par la tradition rhétorique, le discours de remerciement, ou actio gratiarum, apparaît dans des situations socio-discursives aussi courantes que ritualisées. Servant à exprimer sa gratitude, à protester de sa reconnaissance ou à donner des marques d’obligation au destinataire, le discours de remerciement repose non seulement sur des pratiques de sociabilité codifiées, mais aussi sur des protocoles rhétoriques normalisés, tels que les définissent et les illustrent les traités de rhétorique et les manuels d’art épistolaire. Il suffit, en effet, de confronter les descriptifs fournis par ces ouvrages théoriques et les différentes pratiques textuelles, pour mesurer l’importance de la régulation normative à laquelle sont soumis les discours de remerciement.

Les remerciements obéissent à un objectif rhétorique précis : persuader le destinataire de sa gratitude : « les remerciements ne sont pas à énoncer, ils sont à prouver : le destinataire ne fait pas que les recevoir : il doit y croire ». De là découlent les étapes argumentatives canoniques des remerciements directs : « établir la joie que nous avons ; établir la grandeur du bienfait ; établir la promesse de gratitude ; établir notre foi en l’autre ».

À l’intérieur de ces cadres de pensée et d’expression partagés, le discours de remerciement peut néanmoins faire l’objet de toutes sortes de variations. Disposant en réalité de marges de manœuvre considérables, les locuteurs n’hésitent pas à assouplir les conventions rhétoriques et à s’approprier, au gré de leurs besoins, les protocoles standardisés de la demande diffusés par les traités. Ainsi procèdent-ils volontiers à toutes sortes de réarrangements compositionnels, de réorientations pragmatiques ou encore d’innovations formelles. Parmi les reconfigurations argumentatives, les locuteurs peuvent, par exemple, amplifier ou minorer les différentes séquences protocolaires du remerciement : expression du plaisir et du contentement causés par le bienfait, éloge de la valeur du bienfait, promesses de gratitude.

Ce colloque propose donc d’explorer méthodiquement des textes appartenant à divers genres adressés à la lumière des préceptes et des exemples fournis par les traités de rhétorique et les manuels d’art épistolaire. L’objectif est de repérer et d’étudier la manière dont les moyens conventionnels du remerciement sont mobilisés, selon toutes les modalités imaginables de sélection, de dosage et de redistribution. En examinant les formes du remerciement qui circulent et évoluent d’un auteur, d’un milieu, d’une époque ou d’un genre à l’autre, il s’agit de mettre au jour les phénomènes de continuité et de rupture dans la pratique du discours de remerciement, comme y invite la logique de confrontation sérielle pratiquée à l’échelle du colloque.